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Ambroise, Rome et Milan (364-395 ap. JC) : autour d’un choix de couverture

Ambroise, Rome et Milan (364-395 ap. JC) : autour d’un choix de couverture

Pour Ambroise, Rome et Milan (364-395 ap. JC) notre choix initial s’était porté sur le prodigieux tableau de Philippe de Champaigne Saint Gervais et saint Protais apparaissant à Ambroise, daté de 1658 1. Cependant, le Louvre, musée d’accueil de l’œuvre, ne fournissait pas d’image en résolution suffisante, et il faut avouer que la scène représentée est un épisode tout à fait secondaire pour le propos du livre. Marta Sordi l’évoque à peine (p. 36) pour identifier l’une des épîtres qu’Ambroise adresse à sa sœur Marcelline. Nous avons alors choisi l’œuvre d’Antoine Van Dyck Saint Ambroise refusant à Théodose l’accès à la cathédrale de Milan (1620)2, dont le sujet est, lui, central dans cet ouvrage. L’incident dépeint prend place à Milan, à Noël 390, sur le seuil de la basilique portiana. Ambroise refuse que Théodose n’assiste à la messe tant qu’il n’aura pas fait pénitence pour le massacre des civils de Thessalonique. L’évènement, en soi, connaît au moins un précédent, à Antioche, au IIIᵉ siècle. À Pâques 244, l’évêque Babila avait refusé l’accès de son l’église à l’empereur Philippe l’Arabe 3, soupçonné d'avoir organisé la révolte qui avait coûté la vie à son prédécesseur Gordien III durant sa campagne de Perse. Dans les deux cas, les empereurs avaient été ré-admis aux sacrements après une pénitence. C’est la personnalité d’Ambroise, sa lutte d’une vie pour l’indépendance du pouvoir spirituel et son immense postérité qui font de cet épisode un acte fondateur pour l’histoire politique de l’Occident.

 

Quelles sont les sources ?

Dans sa thèse de doctorat de 2013, Loïc Pasco 4 cite les sources qui mentionnent l’incident (p. 228 et suivantes). Il commence par Paulin de Milan, le secrétaire d’Ambroise qui écrit sa vie quelques années après sa mort :

« Quand l'évêque eut connaissance du fait, il refusa à l'empereur l'autorisation de rentrer dans l'église et ne le jugea pas digne de l'assemblée ecclésiale ou de la communion aux sacrements avant qu'il eût mené pénitence publique. L'empereur lui opposait l'exemple de David, responsable d'adultère, en même temps que d'homicide. Mais il lui fut répondu instantanément : « Si vous l'avez suivi dans l'erreur, suivez-le dans le redressement ». À ces mots, le très clément empereur eut une prise de conscience telle qu'il ne se refusa pas à la pénitence publique et le succès de ce redressement ménagea pour notre homme une seconde victoire. »

C’est toutefois chez les Grecs que l’incident trouve une première résonance littéraire. Ainsi chez Sozomène :

« Théodose confessa publiquement sa faute dans l’église, et durant le temps de sa pénitence, il s’abstint de revêtir les insignes de l’Empire, d’après l’usage des personnes en deuil. »

Théodoret de Cyr propose une version plus détaillée :

« Alors, le très fidèle Empereur vint courageusement à l’intérieur du saint édifice, mais ne pria pas son Seigneur debout, ni même à genoux, mais totalement étendu, face contre terre, il prononça d’une voix étouffée les lamentations de David : « mon âme colle à la poussière, fais moi vivre selon ta parole. » Il s’arracha les cheveux ; il se frappa la tête ; il aspergea le sol des gouttes de ses larmes et demanda le pardon. Lorsque le moment fut venu pour qu’il apporte ses oblations sur la table sacrée, pleurant tout le temps où il était debout il s’approcha du sanctuaire. »

Pasco estime que l’épisode est « précédé » par l’épître 51 qui justifie et « planifie » le rituel de pénitence que doit subir Théodose. C’est une humiliation salvatrice et qui permet de grandir, car David l’a acceptée avant lui : « Car par son humilité, David s’était rendu plus acceptable à Dieu ; il n’y a rien d’étonnant à ce que l’homme pèche, mais il est détestable qu’il refuse de reconnaître son erreur et de se faire humble devant Dieu » (LI, 9).

Patrick Boucheron considère quant à lui que l’épisode peint n’a pas eu lieu et qu’il s’agit d’une élaboration narrative postérieure élaborée en dans le monde Grec où s’était développée une tradition ambrosienne autonome. En effet, Paulin, qui écrit quelques années après la mort d’Ambroise n’évoque pas spécifiquement l’incident : « la narration de Paulin de Milan à ce sujet était relativement succincte ». Il serait extrapolé « d’un récit qui provient d’une lettre d’Ambroise à Théodose qui connut une transmission séparée de celle de sa correspondance ». La tradition orientale a ensuite été reprise en Occident en de multiples occasions : en période carolingienne pour la réécriture davidienne de la figure impériale, au XIᵉ et XIIᵉ siècle lors de la Réforme grégorienne et des querelles entre Empire et papauté, et plus tard encore lors de la Réforme tridentine : à chaque fois qu’il avait fallu soustraire l’Église à l’autorité de César.

C’est la lecture à donner à ce développement ultérieur où Théodose, après qu’il ait amené ses offrandes à l’autel durant l’offertoire, est prié par Ambroise de regagner la nef : la célébration de l’eucharistie à l’autel est réservée aux prêtres. Théodose découvre ainsi en Occident cette distinction et la fait sienne, comme l’explique Loïc Pasco (p. 208-209) :

« Cependant, il semble, d’après Sozomène, Théodoret et Constantin Porphyrogénète, que les empereurs, après avoir déposé leurs offrandes sur l’autel, restaient près de lui, à l’intérieur du chancel, lorsque les prêtres célébraient les mystères de la religion chrétienne. En effet, lorsque Théodose fut réintégré dans sa communion par Ambroise après sa pénitence consécutive au massacre de Thessalonique, l’évêque de Milan lui demanda de quitter l’enceinte du chancel, dans le chœur de l’église, car il n’était pas prêtre, seulement empereur et, étant simple fidèle, il devait rester dans la nef. Théodose accepta cette prescription et décida de l’appliquer à l’avenir en tous lieux. De retour à Constantinople, l’évêque Nectaire s’étonna de voir l’empereur s’éloigner de l’autel après le dépôt des offrandes, ce qui démontre que c’était à ses yeux une pratique tout à fait naturelle. »

Patrick Boucheron considère également que l’épisode de l’offertoire doit être fusionné avec celui de la pénitence, comme dernier appendice de la victoire épiscopale et pastorale : l’empereur qu’il est, après avoir été soumis, est ensuite repoussé au-dehors du chancel. Il accepte sa place de laïc.

Marta Sordi, qui a toujours manipulé l'analyse textuelle avec une rigueur extrême, est probablement sur une position similaire. Dans notre petit livre, elle n’analyse (p. 38-39) l’affrontement d’Ambroise et de Théodose à propos de Thessalonique qu’à travers l’épître 51. Elle considère qu’il met en lumière l’un des aspects fondamentaux de la perception qu’Ambroise se fait de son ministère : sa libertas dicendi (« la liberté de dire ») doit lui imposer le courage d’aller à la confrontation avec le Prince pour le corriger lorsqu’il dévie de l’éthique du souverain chrétien, ou quand il s’agit de défendre l’indépendance de l’Église, la séparation des pouvoirs. L’évêque doit aller au bout de sa liberté-devoir de dire le juste, peu importe les conséquences.

 

La mémoire picturale

Que l’affrontement sur le seuil de la basilique portiana de Milan ait bien eu lieu, ou qu’il ne soit qu’un développement théâtral d’une conversation épistolaire, en réalité, importe peu : l’Histoire l’a adopté. Sa présence dans la Légende Dorée 5 indique qu’à la fin du Moyen-Âge, elle est entrée dans la culture populaire, ou du moins hors des cercles de la culture ecclésiastique et élitaire. L’interdiction de Noël est l’épisode qui prend le plus de place dans le récit de sa vie.

Le texte de Jacques de Voragine, rédigé d’après la vaste somme des versions antérieures, a comme toujours servi de base aux peintres, et l’image de couverture d’Ambroise, Rome et Milan (364-395 ap. JC) ne fait pas exception. L’œuvre d’Antoine Van Dyck a été réalisée à Anvers avant 1620, date de son départ pour l’Angleterre, puis l’Italie. Fait significatif, cette peinture reprend quasiment à l’identique la composition d’une œuvre de Rubens, également réalisée à Anvers deux ans plus tôt, à laquelle Van Dyck, membre de l’atelier, avait sans aucun doute participé.

La construction de l’image oppose deux groupes sur le seuil de la cathédrale. La masse sombre de la façade, avec ses puissants pilastres bagués se déploie jusqu’au sommet de la toile. Ce n’est plus une façade, c’est une muraille. Elle manifeste la fermeté d’Ambroise, dont la crosse épiscopale s’oppose seule aux multiples hallebardes et suffit à arrêter l’empereur. On le voit, d’ailleurs, la figure d’Ambroise est précisément inscrite dans le pilastre : optiquement, il est intégré à la façade-muraille.

La rencontre des deux hommes incarnant le pouvoir séculier et le pouvoir spirituel se situe exactement au centre de la toile. Ils sont opposés en miroir, mais leur symétrie est brisée par l’inégalité. Théodose doit gravir un escalier : il vient de « plus bas » qu’Ambroise. Le jeu des mains est également significatif : leurs positions sont presqu’identiques, mais les mains d’Ambroise forment un geste d’opposition délicate, tandis que celles de Théodose n’expriment que le désarroi. La masse pourpre de la toge impériale est elle aussi un reflet de la chape dorée d’Ambroise, mais elle est plus basse, plus terne. Théodose, double séculier, est soumis, intégré dans le réseau courbes des mains et du drapé d’Ambroise ; il fait déjà presque pénitence.

Un personnage du groupe impérial, tout à gauche semble désapprouver la scène : c’est le seul à conserver une attitude hautaine. Sa tension corporelle l’éloigne de l’évêque. La présence du chien à ses pieds permet de l’identifier comme Rufin, premier envoyé de Théodose qui avait tenté d’influencer Ambroise, et que le texte de la Légende Dorée fustige comme un chien qui « aboie contre la majesté divine ». Rufin, chien de Théodose, trouve son alter ego dans le groupe épiscopal chez le petit enfant de chœur. Quand Rufin a la face noire d’ombre, le garçon brille d’une clarté angélique et semble protéger un cierge pascal de l’ambition de l’empereur. Van Dyck affirme par tous ses moyens picturaux la supériorité du sacerdoce sur l’empire.

Les circonstances de la commande restent à élucider. Il semblerait que le second personnage en partant de la droite soit un portrait de Nicolaas Rockox, bourgmestre extérieur d’Anvers 6, qui avait déjà commandé autour de 1610 un Samson et Dalila à Rubens. Pourquoi avait-on passé commande à Anvers, à deux ans d’intervalle, pour deux représentations monumentales de cet épisode ? Pour quelle destination ? La présence du bourgmestre dans l’image laisse penser à une commande institutionnelle, décidée dans les instances communales, et la question se pose : qui, en 1620, est Ambroise et qui est Théodose ? Qui revendique l’indépendance du pouvoir spirituel face à la tyrannie et à la brutalité séculière ? La superposition des deux visages de Rockox et d’Ambroise (luminosité, profil, inclinaison, intensité du regard) montre une claire volonté d’identification du (possible) commanditaire, qui est un personnage public marié dans la noblesse espagnole, et qui au quotidien doit parler au parti impérial.

La Réforme Tridentine, en effet, est également un mouvement de renouveau pastoral et de séparation des pouvoirs. Dans la doctrine de Charles Borromée, héraut de la Réforme Tridentine, les citoyens, les magistrats, les parents sont appelés à se faire pasteurs, à réformer leur entourage, et à corriger leur temps, comme le fit Ambroise à Milan. Il s’agit d’une démarche personnelle et spirituelle sur laquelle l’autorité séculière ne doit pouvoir intervenir, a fortiori en un temps où elle se montre si défaillante.

Cette idée de renouveau populaire, de véritable noblesse morale acquise par la pureté spirituelle, à opposer à la noblesse héréditaire, trouvait-elle un écho dans les Pays-Bas du Sud, catholiques, mais qui s’étaient soulevés eux aussi contre les vexations espagnoles ? L’élite catholique anversoise se voyait-elle comme l’avant-garde d’un peuple pieux, aux prises avec un occupant (espagnol, impérial) encombrant : alliés politiquement, mais moralement distincts ? Ou bien s’agissait-il d’entretenir, à quelques décennies de distance, le souvenir du massacre de novembre 1576 par des soldats mutins espagnols en présentant Anvers en nouvelle Thessalonique ? C’est une piste. Après tout, Nicolaas Rockox avait voulu honorer dans son Hôtel de Ville la figure de Samson, le héros biblique trahi, otage des impies.

 

1 - Huile sur toile, 360 x 678 cm, conservé au Louvre.

2 - Huile sur toile, 147 x 114 cm, conservé à la National Gallery de Londres.

3 - voir Marta Sordi, Les chrétiens et l’Empire romain, Certamen, p. 120-121.

4 - Loïc Pasco, L’évolution des cérémonies publiques impériales dans le monde romain tardif, 2013, thèse soutenue à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense, sous la direction de Hervé Inglebert.

5 - Nous renvoyons à l'édition Flammarion, vol. I, p. 286-296.

6 - C'est-à-dire magistrat chargé du territoire rural placé sous la juridiction d’Anvers.

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